Man
Ray et Paris
Lorsqu’il
arrive à Paris, en 1921, de New York, Man Ray ignore encore qu’il va s’y
installer pour de nombreuses années, rencontrer la célébrité et y faire l’objet
d’expositions et d’hommages post hume multiples (Cette année encore Le Musée du Luxembourg lui consacre une
exposition intitulée « Man Ray et la photographie de mode » du 9
avril au 26 juillet 2020. Un artiste déjà mis en avant par le Grand Palais lors
d'une rétrospective en 1998, puis par la Pinacothèque en 2008.)
Invité
par son ami franco-américain Marcel Duchamp-inventeur des « reay-made » et
l’un des fondateur du mouvement « Dada » (initié aux USA) qui
l’héberge dans son appartement, il rejoindra rapidement Montparnasse, épicentre
durable de la vie de « bohème » que mènent tous les artistes de cette
époque bien nommée « les années folles »
L’émulation
ressentie au contact des plus grands artistes de l’époque : Picasso,
Cocteau, Modigliani, Foujita, Picabia, Braque, Derain mais aussi Stravinski
Tristan Tzara, Hemingway Chanel ou Paul Eluard lui fera
ressentir Paris comme son port d’attache, bien qu’il en répartira
pendant la guerre en 1940 avant d’y revenir et d’y demeurer jusqu’à la fin de
sa vie
Avant
de devenir un des plus grands artistes du mouvement « surréaliste »
en tant que photographe, Man Ray voulait être peintre (puisque la peinture représentait
le mode d’expression le plus naturel et aussi la reconnaissance suprême pour
tout artiste jusque-là) mais le sort en décida autrement pour celui qui fut
présenté peu de temps après son arrivée à Paris, comme photographe de
mode à Paul Poiret ( le « roi de la mode » à qui l’on doit surtout
d’avoir décorseter les femmes, ouvrant la voie à Chanel )
Gabrielle Chanel photographiée par Man Ray 1935 |
C’est
cependant en photographiant la jet set : aristocrates, femmes du monde,
couturiers et tous ses amis artistes qu’il se fera remarquer avant d’être
embauché officiellement comme photographe de mode par Vanity Fair, Vogue puis Harper's Bazaar
Dès
1922, il emménage rue Campagne Première (au 31 Bis) dans
un très bel immeuble où il installera son atelier, pouvant investir « les
cachets » de photographe de mode*, pour y développer son travail de
recherche personnel, à travers le développement de nouvelles techniques comme
la solarisation, le rayogramme, la surimpression, le photomontage, et
différentes autres techniques de tirage photographique
Man Ray habita 31Bis rue Campagne Première |
Il
y vivra plusieurs années, notamment avec sa compagne et inspiratrice des débuts
Kiki de Montparnasse, témoin d’un Paris où les femmes posaient nues et
où les fiacres roulaient encore dans la capitale (jusqu’en 1922)
Le Violon d'Ingres Kiki de Montparnasse |
puis avec la
très belle Lee Miller, qui deviendra – après avoir été son assistante – et sa
muse, elle aussi photographe et même reporter de guerre pendant la 2e
guerre mondiale
Lee Miller et Man Ray procédé de solarisation |
Man Ray est multi facettes : entre ses
photos-portraits de la Jet Set, ses photos de Mode pour la presse et ses
compositions surréalistes (photos et films), il maximise son talent en le
déployant sur plusieurs horizons….
Paris
devient le théâtre où
sa créativité se développe, enrichie par les contacts qu’il nous avec ses amis
artistes des cercles surréalistes entre autres ; lui l’américain de Brooklyn.
Ce
Paris très « arty » où il fréquente plusieurs milieux : les surréalistes,
peintres, écrivain, les créateurs qu’on disait à l’époque « couturiers » de
mode, la presse, la jet set , le « tout Paris »
Paul Eluard et sa femme Nusch |
Ce
Paris des fameux « bals » inspirant, où tout est possible «
artistiquement » il va s’y installer durablement et y vivre plusieurs « amours
» notamment avec la sublime Lee Miller
Ce
Paris à l’image de sa jeunesse, des années où son talent s’est affirmé, puis «
reconnu » et où il devint cet artiste qu’il a toujours souhaité devenir.
Ce
Paris, il va l’aimer jusqu’à collectionner les clichés d’un autre immense photographe :
Eugène Atget, son voisin de la rue Campagne Première dont Bérénice Abbott lui
fera découvrir le talent
Berenice Abbott une des assistantes de Man Ray |
Assistante
de Man Ray, elle repartira en Amérique après avoir acheté elle aussi des milliers
de tirages d’Atget et avec une folle envie de le faire découvrir, ce qui fut
son leit motiv pendant une grande partie de sa vie
Eugène Atget est célèbre pour ses photographies
documentaires sur le Paris de la fin du 19e et du début du 20e siècle. Le
photographe prenait en photo les rues de Paris, les jardins, les anciennes
boutiques et les artisans parisiens. Photos qui allaient devenir de précieux
documents historiques. Vers 1897-1898, à l’époque où est créée la Commission du
vieux Paris, Eugène Atget a photographié les anciens quartiers de Paris appelés
à disparaître. Le musée Carnavalet et la Bibliothèque nationale vont devenir
ses principaux clients jusqu’à la fin de sa vie.
Eugène Atget Série Artistique et pittoresque |
La
dernière rétrospective « Atget » à la Bibliothèque nationale de
France date de 2007, mais, auparavant, le musée Carnavalet avait déjà honoré le
photographe en 1982, en 1984, en 1992 et en 1999. On aurait pu croire le sujet
clos, mais Carnavalet persiste et signe, fort de sa fabuleuse collection de
photographies d'Atget - plus de 9 500 tirages - et d'un prêt exceptionnel de la
George Eastman House à Rochester (État de New York). Cette dernière a en effet
accepté de laisser voyager l'album personnel de Man Ray, constitué d'un choix
de quarante-trois images que l'artiste américain a collectionnées durant les
années 1920.
Marchand ambulant Place Saint Médard Paris Ve 1899 |
PARIS ville
miroir, l’objet rêvé des surréalistes
Atget a photographié les
quartiers de Paris, non dénaturés par le travail d’Haussmann, c’est le Paris
des petites rues, des petits métiers, des vitrines mais un travail exhaustif
qu’il a entrepris pour – au départ -aider les peintres qui avaient besoin de
« documentation »
Eugène Atget Série "Vitrines" Magasin Avenue des GOBELINS 1925 |
Là où le regard d’Atget peut
croiser le surréalisme c’est dans cette vision qu’il choisit : ce parti
pris d’un Paris authentique,( pas celui des grands axes haussmanniens trop
« propres »)mais celui d’un petit peuple de Paris ( pas celui de la
bourgeoisie et encore moins de l’aristocratie) des vitrines de magasins , et
justement dans ces vitrines il se passe des choses intéressantes artistiquement
parlant : comme des reflets particuliers, comme des évocations, des
visions inattendues
Eugène Atget Bd de Strasbourg Corsets 1912 |
Car l’époque où Atget commence à prendre ces
photographies correspond précisément à celle où les surréalistes s’intéressent
aux reflets. C’est en avril 1925 que La Révolution surréaliste publie sur sa
couverture la photographie de Man Ray représentant une vitrine à Saint-Sulpice
sur laquelle vient se réfléchir l’image du bâtiment lui faisant face. C’est au
même moment que Man Ray rend visite à Atget pour lui acheter quelques images
Eugène Atget Magasin Avenue des Gobelins 1925 |
Ce goût pour Atget «le»
photographe de Paris mais un Paris, très 19ème siècle, de Man Ray
s’explique par cet amour pour Paris dans l’absolu, mais aussi pour l’idée que
les américains pouvaient se faire de Paris, d’une projection sub consciente, et
dans le choix de Man Ray se trouve aussi la vision très « sure » qui
a su apprécier un talent ignoré toute sa vie durant car Atget n’eût pas la
reconnaissance qu’il méritait
Regards croisés entre
plusieurs artistes qui collectionnèrent Atget dont l’un d’entre eux « DERAIN »**
donna lieu à une vente aux enchères récentes, regards différents sur un Paris
choisi, mis en lumière, comme objectivé de la même manière qu’un portrait de la
Jet Set ou qu’un objet au hasard, symbole de leur révolutions intimes et de
leur volonté de basculement vers un horizon de modernité
Cour, 7 rue de Valence 1922 |
Man
RAY quitte Paris en 1940 et part pour Hollywood, il reviendra en France en 1951
*Vogue
a fait travailler Man Ray de 1924 à 1930, sous la direction de Lucien Vogel et Harper’s
Bazaar de 1935 à 1944, sous la direction artistique d’Alexey Brodovitch
**Lire l’article paru dans les Echos : Eugène Atget : un morceau d’histoire de l’art moderne aux enchères Le 10 novembre Christie’s disperse à Paris un ensemble important de photos d’Eugène Atget qui appartenait au peintre André Derain
https://www.lesechos.fr/2016/09/eugene-atget-un-morceau-dhistoire-de-lart-moderne-aux-encheres-219354
***C’est
à soixante dix ans passés qu’il reçoit la médaille d’or à la Biennale de
photographie de VENISE, en 1961 puis l’année suivante un choix de ses
photographies est exposé à la Bibliothèque nationale de PARIS. En 1966 eut lieu
une grande rétrospective de l’ensemble de sa carrière à LOS ANGELES. En 1967 le
jury du Festival des Arts de Philadelphie (sa ville natale) lui décerne une récompense
officielle pour son œuvre et enfin en il participe à l’exposition phare
organisé au Musée d’Art Moderne de NEW YORK : Dada, le Surréalisme et leur héritage.
Au
moment de la publication de ses mémoires : Autoportrait, coïncident deux
hommages : l’une au Musée d’Art de la Princeton University et l’autre à
New York
A
quatre vingt six ans, il fut décoré de l’ordre artistique du Mérite par le
gouvernement français, peu avant de mourir et d’être enterré au cimetière de
Montparnasse
Hommage à Berenice Abbott Photo Nathalie Molho©
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